Par rapport à d’autres insectes hématophages, les représentants des Cimicidés se sont diversifiés sur un nombre restreint d’hôtes (Marshall, 1981 ; Lehane, 2005) (Tableau IV).
Les hôtes des Cimicidés ont plusieurs traits écologiques et comportementaux en commun : ce sont des espèces grégaires qui vivent toutes dans des habitats fixes (dans le temps et dans l’espace) et qui possèdent une température corporelle assez élevée. Les chauves-souris, les martinets, les passereaux et l’homme cohabitent souvent, ce qui facilite le passage d’une espèce à l’autre. (Usinger, 1966).
Weidner (1958) pensait que ce passage ne s’est pas fait directement mais avec une étape intermédiaire : celle des oiseaux domestiques
Cimex lectularius et Cimex hemipterus sont inféodés à l’homme mais sont tout à fait capables de se nourrir et de survivre sur des hôtes tels que des oiseaux, des chauves-souris ou des lapins de laboratoire (Usinger, 1966). Dans la nature, Cimex lectularius a aussi été retrouvé sur différentes espèces d’oiseaux et de chauves-souris (Hase, 1938 ; Usinger, 1966 ; Marshall, 1981).
Patton et Cragg (1913) affirmaient qu’en captivité on peut nourrir Cimex lectularius sur presque tous les animaux.
Brumpt (1922) pensait que Cimex lectularius spontanément, à défaut de sang humain, piquait les mammifères domestiques et même les oiseaux.
L’équipe de Chatton et Blanc (1918) a même réussi à prouver que la punaise de lit pouvait subsister et proliférer tout à fait indépendamment de l’homme, puisque ces chercheurs l’ont vue s’établir et se multiplier dans le chenil de Gabès en Tunisie, loin de tout logement humain et s’y conserver sans surveillance pendant plus d’un an ; seuls des rongeurs et lagomorphes (cochons d’Inde, rats, souris et lapins) ainsi que des chats pouvaient lui fournir du sang.
Les équipes de Railliet (1895) l’ayant rencontrée dans les poulaillers, sont convaincus qu’elle parasite les poules.
Les travaux ultérieurs ne les ont pas démentis comme on peut le voir sur le tableau IV, on recense jusqu’à une vingtaine d’animaux sur lesquels la punaise des lits a pu se nourrir et se reproduire à l’heure actuelle.
La seule équipe ayant cherché si Cimex lectularius pouvait survivre aux dépens des animaux à sang froid est celle de Chatton et Blanc avec ses travaux sur le gecko, caméléon et la grenouille, tous concluants. Ces travaux ont été expérimentaux et ce choix d’hôte n’a jamais été observé de façon spontanée. Sur le gecko, les lieux privilégiés pour les piqûres sont le cou, la base de la queue, les ars et les espaces interdigités et ce même à température ambiante (19°C). Pour les autres reptiles l’utilisation d’une étuve dans laquelle l’animal a été introduit est une condition indispensable pour que les insectes piquent (Chatton et Blanc, 1918).
Animaux de laboratoire #
Beaucoup de ces animaux sont encore utilisés de nos jours pour permettre la survie des colonies des punaises dans les laboratoires. On les rase afin de faciliter les piqûres
En faisant une recherche sur les bases de données scientifiques sur les dix dernières années, 70 colonies étaient ainsi déclarées être détenues par des laboratoires dont 23% uniquement nourries avec des animaux de laboratoire (Aak et al., 2014).
Animaux domestiques #
Il est extrêmement rare d’en trouver sur les carnivores domestiques notamment à cause de la fourrure mais non impossible surtout si ces animaux dorment dans le même lit que leurs maîtres. Depuis une dizaine d’années, on retrouve quelques cas décrits dans la littérature.
En Écosse en 2002, il s’agissait d’un chat de gouttière vivant dans une ferme qui ne présentait aucun signe clinique (pas de prurit, pas de lésions cutanées) à part le nombre important de punaises retrouvées sur son dos et son ventre. Sa propriétaire rapportait n’avoir jamais été piquée (Clark, 2002).
Un chien croisé à poil court de petit format a été vu en clinique en 2010 et une punaise est tombée de son poil sur la table d’examen à l’université de St Hyacynthe au Québec (Dre Nadia Pagé, ; personnelle).
À l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort, depuis 2011, un seul cas a été recensé : deux punaises de lit ont été retrouvées sur un lapin nain de 4 ans en 2014 qui ne présentait aucune lésion à part des épisodes douloureux à chaque piqûre. La propriétaire était piquée également et le lapin dormait avec elle dans son lit.
Les volailles sont également parasitées et principalement dans les élevages des poulets de chair aux États-Unis (Usinger, 1966 ; Newberry et Jansen, 1986 ; Rosen et al., 1987 ; Lindsay et al., 1989 ; Newberry et al., 1991 ; Axtell, 1999). Plusieurs endroits d’un poulailler font de très bonnes cachettes ou refuges pour les punaises comme les mangeoires et les abreuvoirs accrochés aux plateformes par des dispositifs en bois ainsi que les recoins des nichoirs en métal galvanisé et les boites en carton servant au transport des œufs (Goddard et De Shazo, 2012).
À cause de la forte densité animale de ces élevages associée au stress en résultant, de fortes infestations de punaises de lit dans les poulaillers conduisent à des pertes de plumes excessives, des irritations cloacales, des lésions sur le bréchet et les pattes et jusqu’à des cas extrêmes d’animaux anémiés.
De ce fait, des chutes de productions peuvent survenir, une augmentation de la quantité consommée d’aliments ainsi que des taches sur les œufs diminuant leur valeur à l’achat (ces taches correspondent à des dépôts fécaux des punaises de lit) (Fletscher et Axtelli, 1993 ; Axtell, 1999).
Bien que les œufs et la viande ne soient pas directement endommagés par les punaises, la perte de la filière est indirecte (Newberry, 1991).
Selon Levi en 1941, les pigeonneaux de 1 à 3 jours d’âge peuvent devenir rapidement anémiés voire meurent à 4 jours si les nuisibles perdurent (Axtel, 1999).
À la différence des tiques qui restent attachées pendant plusieurs jours sur leur hôte lors de leur repas sanguin, les punaises s’enfuient et ne restent pas en général sur leur hôte, cependant Bishopp en 1942 en avait recensé jusqu’à 2 500 dans les anfractuosités de deux boites en carton prises chez un volailler au hasard sur un marché de 1942 aux États-Unis… !
Changement d’hôte #
Ce qui provoque ces changements d’espèce-hôte est encore inconnu. L’hypothèse principale avancée est que la famine causée par l’absence de l’hôte principal est l’élément moteur du changement d’hôte (Hase, 1938 ; Kemper, 1936 ; Myers, 1928 ; Overal et Wingate, 1976 ; Ryckman et al., 1981 ; Stelmaszyk, 1986 ; Wendt, 1939 et 1941).
Si ce changement temporaire d’hôte permet une amélioration de la valeur adaptative, alors la sélection favorisera le parasitisme de cette nouvelle espèce. Pour preuve, Cimex lectularius produit plus d’œufs et les jeunes qui en résultent se développent plus rapidement quand ils sont élevés sur des souris (un hôte qu’elles rencontrent rarement dans la nature) que sur les hôtes naturels (Johnson, 1937). De même, Cimex hemipterus se développe mieux sur l’humain par rapport au lapin, rat, poulet ou l’oiseau bulbul (Wattal et Kalra, 1961).
Différences biologiques #
À part ces quelques points, de nos jours il n’est pas prouvé que le cycle de vie de la punaise de lit soit fondamentalement perturbé si celle-ci est nourrie avec du sang différent de son hôte principal (Johnson, 1941), à la différence d’autres insectes hématophages comme Aedes aegypti ou Aedes persicus dans Mathis (1934) o(1920).
Barbarin (2014) a pu juste démontrer une espérance de vie significativement plus courte des colonies élevées uniquement sur du sang de lapin et des stades juvéniles plus longs en comparaison avec des punaises élevées sur du sang humain.
Pour De Meillon et Hardy (1951), la souris africaine, Mastomys coucha, n’est pas un hôte convenable pour la punaise de lit car les femelles pondent considérablement moins d’œufs que si celles-ci sont élevées sur des souris blanches de laboratoire.
Cependant tout changement d’hôte nécessite une période d’adaptation pour l’insecte aussi bien dans la détection des signaux émis par le nouvel hôte, de la morphologie des stylets capables de percer l’épiderme des deux hôtes, une pompe jouant son rôle d’aspiration du sang chez les deux hôtes et un système digestif capable de métaboliser les deux types de sang.
Cela est particulièrement vrai chez les Cimicidés qui fréquemment doivent s’adapter à des hôtes différents. Les érythrocytes de poulet ont un diamètre de 11.2μm (Altman et Kirchner, 1972) tandis que ceux des humains peuvent varier de 6 à 8 μm. Le canal alimentaire d’un adulte Cimex lectularius varie entre 8 et 12 μm (Hase, 1926) rendant l’aspiration de sang sur l’humain plus aisée.
A contrario, C. hemipterus possède un système de charnière articulée qui lui permet de contrôler le diamètre de son canal alimentaire (Singh et al., 1996). Une telle flexibilité favorise l’accès à une large gamme d’hôtes.
Repas sanguins #
La fréquence des repas sanguins dépend du taux de digestion, de la température de l’environnement et de la disponibilité de l’hôte. Dans des conditions de laboratoire, les colonies de Cimex lectularius se nourrissent à peu près tous les 7 jours (Usinger, 1966 ; Siva- Jothy, 2006). Ceci est également vérifiable chez des Cimex lectularius qui se nourrissaient naturellement sur des rats (Mellanby, 1932) mais pas sur des Cimex hemipterus collectés sur le terrain qui devaient se nourrir chaque jour pendant plusieurs jours en climat chaud (Hase, 1931).
15 à 29 % d’autres punaises collectées sur le terrain au hasard étaient déjà engorgées dans plusieurs études (Mellanby, 1932 ; Overal et Wingate, 1976 ), ce qui suggère que des cycles de prise de nourriture doivent certainement s’effectuer tous les 3 à 7 jours et que les punaises ne doivent pas être limitées dans leur prise de nourriture en conditions naturelles.
Les repas de sang représentent 130 à 200% du poids du corps des adultes à jeûn (Johnson, 1941). Les adultes prennent de plus grands repas sanguins que les jeunes et les adultes particulièrement grands, sont aussi ceux qui prennent les plus grands repas (Marshall, 1981). Un seul repas sanguin complet précède l’éclosion jusqu’à la prochaine mue et l’on connaît le volume minimal du repas sanguin pour parfaire l’éclosion chez Cimex lectularius (Tawfik, 1968).
Se nourrir sur des hôtes de différentes espèces peut être responsable de différences de quantité ou de qualité des repas sanguins car tous n’ont pas le même taux protéique (Lehane, 2005) ou de nutriments comme le calcium ou la vitamine B (De Meillon, 1947 ; De Meillon, 1951).
D’autres contraintes physiques peuvent expliquer les durées différentes d’aspiration du sang sur différents hôtes. Dans une étude effectuée en Egypte en 1968, une population de Cimex lectularius préférait l’odeur des humains à celle de chiens ou de cochons d’Inde (Aboul-Nasr et Erakey, 1968), tandis qu’une autre encore préférait celle de lapins (Usinger, 1966).
Valeur adaptative d’autres représentants des Cimicidés hématophages sur les hôtes #
Le meilleur exemple d’impact de la valeur adaptative de l’hôte est donné par la commensalité de l’hirondelle de falaise et de sa punaise. L’étude de Brown en 2002 a montré que les adultes faisant leurs nids dans des lieux d’infestations ont souffert d’une diminution de leur poids corporel de 4% pendant la saison de reproduction (contre 0,6% pour des oiseaux non infestés). Il est difficile de savoir si cette perte de poids est due à la perte sanguine observée, à une activité compensatrice de recherche de nourriture dans les nids infestés ou encore à une demande énergétique accrue par le système immunitaire activé par la piqûre.
Les oisillons des hirondelles parasitées avaient une croissance des plumes ralentie et leur queue en principe très fourchue et qui se prolonge en « longs filets » était bien moins symétrique que les oisillons non parasités (critère qui disparaît à l’âge adulte).
Les vertébrés adultes (même les humains, Ryckman, 1979) peuvent mourir de la sévérité des piqûres de Cimicidés. Une souris adulte est morte après la piqûre de 180 punaises de lit et un passereau après celles de 35 respectivement.
Le taux de survie au long cours des hirondelles des falaises adultes débarrassées des punaises était 14% supérieur. Bien qu’Oeciacus hirundinis ne touche pas des nichées entières d’hôtes (Brown et Brown, 1986 et 1996), le fait de se nourrir sur des oisillons est néfaste pour leur survie. Aucun jeune n’a survécu au-delà d’un an s’il a été parasité dans son nid par cinq punaises ou plus (Brown et Brown, 1996 : Chapman et George, 1991).
On a même observé des oisillons sauter des nids infestés de la falaise (Brown et Brown, 1996) pour s’écraser au sol. Les programmes d’éradication des punaises dans les nids infestés des punaises des falaises ont permis d’augmenter les chances de survie des oisillons de 50 à 100% (Brown et Brown, 1995 et 1996 ; Chapman et George, 1991) et ont conduit à une augmentation de la masse corporelle des jeunes (un facteur prédictif important).
L’effet des Cimicidés persiste dans le temps sur les jeunes qui ont survécu à leur exposition. De tels jeunes ont un taux de mortalité 50% plus élevé avant d’atteindre leur première saison de reproduction (Brown et Brown, 1996).