Tous les Cimicidés, parasitent exclusivement soit les chauves-souris, soit certains oiseaux (hirondelles, martinets). Plusieurs espèces de chauves-souris habitaient les grottes et leurs parasites aussi.
C’est là qu’une espèce (sans que l’on sache laquelle précisément) s’est adaptée à l’homme il y a environ 40 000 ans.
Avec le temps, il y a eu spéciation et apparition d’une nouvelle espèce : Cimex lectularius.
Premières traces de la punaise de lit dans les sociétés humaines #
Sailer (1952) affirmait que Cimex lectularius avait choisi comme hôte l’homme et les chauves-souris (fig. 2) lorsqu’ils vivaient ensemble dans les grottes du Moyen-Orient pendant la préhistoire. Les punaises (fig. 3) ne se seraient adaptées que bien plus tard aux habitations créées par les hommes et leur répartition géographique se serait faite en parallèle de l’avancée
de la civilisation.
Figure 2 : Punaises de chauve-souris (Hannan, 2010) Cimex adjunctus, espèce proche de Cimex lectularius, en train de se nourrir sur une chauve-souris Eptesicus fuscus.
Vlassov (1929) aurait même trouvé la localisation exacte de leur « biotope d’origine », une sorte d’immense grotte au Turkménistan où des chauves-souris et des punaises vivaient recluses, bien éloignées des populations humaines. Cependant, les punaises trouvées dans cette grotte n’étaient pas des Cimex lectularius (au vu de leur description morphologique) mais plutôt une nouvelle espèce de punaise inféodée aux chauves-souris (fig. 3) et non encore décrite à l’époque .
D’autres localisations géographiques originales ont été supposées, comme le Sud de l’Asie et l’Afrique, mais ceci sur la base de preuves morphologiques assez faibles.
La punaise de lit n’existait probablement pas en Amérique avant l’arrivée des espagnols puisqu’il n’y a pas de nom amérindien pour la désigner.
Selon Oakley (1956), l’homme n’a pas été en permanence un occupant des grottes ou des abris sous roche avant d’avoir domestiqué le feu il y a 250 000 ans en Europe. Il y a environ 100 000 ans, l’homme de Néanderthal vivait dans des grottes du Moyen-Orient avec des chauves-souris murines (genre Myotis) et rhinolophes (genre Rhinolophus) et peut- être d’autres espèces. L’homme de Cro-Magnon vivait probablement dans des conditions similaires lors de la dernière ère glaciaire (12 000 ans avant JC).
De 8000 à 5000 ans avant JC, ce furent les prémices de l’agriculture et de la domestication autour du croissant fertile en Asie du Sud-Ouest. Même si le « déménagement » des grottes vers des habitations concentrées en villages fut très progressif (témoin la vie dans des grottes de certaines populations en Europe ou au Moyen-Orient de nos jours), c’est probablement lors de ce « grand dérangement » que les punaises sont devenues des parasites permanents de l’homme.
Ce phénomène a été très certainement amplifié par la tendance au rassemblement des populations dans de grandes cités de dizaines de milliers d’habitants entre le Tigre et l’Euphrate en 4000 avant JC.
Une autre espèce, Cimex columbarius, parasite des pigeons en Europe occidentale, est morphologiquement très proche de Cimex lectularius (fig. 4 et 5).
L’origine de ces deux espèces serait l’espèce primitive parasitant les chauves-souris dans les grottes. Celle-ci se serait directement adaptée aux pigeons sauvages habitant dans les grottes, ou bien indirectement, après adaptation à l’homme et à ses habitations, elle serait passée alors sur le pigeon lors de sa domestication dans l’Antiquité.
En dépit de ces origines communes très vraisemblables, ces deux espèces ne s’observent pas actuellement en colonies mixtes. Leurs croisements éventuels ne sont pas féconds, bien que la copulation entre individus appartenant à l’une et à l’autre de ces espèces soit possible.
Le sperme d’une espèce est même toxique pour l’autre, ce qui amène la mort des femelles fécondées par copulation croisée (Omori, 1939).
Leur adaptation à une espèce d’hôte, ou à un développement dans un milieu différent, s’est sans doute réalisée depuis suffisamment longtemps pour que cela se traduise désormais par une incompatiblité génétique. Ceci explique en partie la rareté de la coexistence en un même lieu de populations des deux espèces parasitant l’homme.
Depuis que l’homme, quittant les cavernes de la préhistoire, puis abandonnant la vie nomade qui a suivi, s’est mis à édifier des habitations pour y vivre en sédentaire, Cimex lectularius, la punaise des lits, actuellement cosmopolite, a commencé à partout proliférer. Parasite synanthrope, elle s’est peu à peu répandue, transportée dans les bagages, dans toutes les régions du monde que l’homme a colonisées au cours de ses migrations. Il est vraisemblable que les punaises, déjà abondantes dans l’Antiquité en Égypte, en Grèce et en Italie, suivirent les déplacements des légions romaines lors de leurs conquêtes dans une bonne partie de l’Europe.
La diffusion de Cimex lectularius n’est pas facile à rechercher mais nous avons des preuves de sa présence en Grèce en 400 avant JC, en Italie en 77 après JC ainsi qu’en Chine en 600 après JC.
La comparaison des textes médicaux chinois et japonais amène Blanchard (1940) à penser que, au moins au XVIIIe siècle, les punaises, qui pullulaient autant en Chine qu’en Europe, étaient, sinon absentes au Japon, du moins extrêmement rares
En 1996, on a même retrouvé un vieux spécimen d’un Cimex dans une tombe égyptienne (fig. 6) : il s’agit du plus vieux témoin de l’association entre l’homme et cet ectoparasite, datant d’au moins 3 500 ans. Le désert égyptien et la dessiccation qu’il provoque fournissent des conditions propices à la conservation des matériaux biologiques. Dans cette cité d’Amarna à 270 km. au sud du Caire, créée par Akhenaton (1352-1336 avant J.C.) et appelée
« Village des ouvriers », les archéologues ont retrouvé de très vieux spécimens de Cimex lectularius et de la puce humaine Pulex irritans. Sur ces vieux spécimens, il est assez difficile de distinguer Cimex lectularius de Cimex columbarius, la punaise du pigeon, même si cette dernière n’a jamais été observée en Afrique (Usinger, 1966).
La faune cependant et le contexte archéologique sont plus en faveur de Cimex lectularius
(Panagiotakopulu et Buckland, 1996).
Pour de nombreux auteurs, l’insularité de la Grande-Bretagne aurait, pendant un certain temps, protégé celle-ci contre l’invasion des punaises, qui y seraient apparues beaucoup plus tardivement que dans le reste de l’Europe.
Il a souvent été dit et répété que la « punaise de lit » n’existait pas en Angleterre avant le grand incendie de Londres de 1666 et que celle-ci fut transportée avec le bois d’Amérique acheminé pour la reconstruction (Latreille, 1829). Cependant, Moufet en 1634 relate déjà que l’on demandait conseil à Thomas Penny en 1538 au sujet de gênantes « Cimex » dans une propriété de Londres.
Une autre controverse existe sur la période de leur arrivée outre-Manche.
Pour la raison énoncée plus haut, à savoir une très vraisemblable diffusion des punaises dans les bagages des légions romaines, il nous semble raisonnable de penser que la colonisation de l’Angleterre par ces insectes a commencé au moins dès les premiers temps de l’ère chrétienne, puisqu’une bonne partie de ce pays a été occupée pendant plusieurs siècles par les Romains, et cela jusqu’aux invasions barbares.
Il nous est donc difficile d’admettre l’opinion, souvent émise, d’une arrivée des punaises en Angleterre vers 1670, dans les bagages des Huguenots chassés de France par les persécutions.
Pour certains, l’extension des punaises dans les pays nordiques se serait faite plus tardivement, seulement au XIXe siècle en Suède.
Dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Larousse, paru en 1874, il est même dit : “Il paraît qu’elles [les punaises] sont inconnues dans les pays très septentrionaux, comme en Suède, au Danemark, en Russie”. Cette opinion nous semble infirmée par le fait que Linné, dans l’édition de 1745 de Systema Naturae, au n°646 de son inventaire, parmi les noms donnés antérieurement à la punaise, cite celui alors utilisé en Suède : “Suecis : Wagglus”, ce qui laisse supposer qu’elle y était déjà connue …
De même, en Russie, les allusions aux punaises dans plusieurs textes littéraires du début de ce siècle font penser que celles-ci y avaient déjà été introduites depuis un certain temps.
Le développement des punaises en Europe septentrionale y a été sans doute moins rapide qu’ailleurs en raison des conditions climatiques plus dures, pendant une partie de l’année, défavorables à la biologie de l’insecte.
L’utilisation du feu pour le chauffage a fait de l’homme un hôte encore plus approprié pour la punaise de lit, surtout en hiver dans les régions tempérées (fig. 8). Johnson en 1941 a prouvé le lien entre l’utilisation massive du chauffage au bois dans les habitations et l’énorme augmentation des infestations en Europe du Nord au début du vingtième siècle.
Dans le Nouveau Monde, l’arrivée de la punaise des lits est difficilement datable.
À notre connaissance du moins, rien ne permet d’affirmer qu’elles existaient déjà sur le sol américain avant l’arrivée des Conquistadors. Il est possible qu’elles y soient arrivées, là aussi, dans les bagages des armées espagnoles, puis, plus tard, dans ceux des immigrants européens, dans leur grande majorité issus des classes les moins favorisées à l’époque.
L’un des arguments avancés en faveur de l’absence de punaises de lit dans le Nouveau Monde avant l’arrivée des Espagnols est l’absence totale de noms pour les désigner chez les populations autochtones d’alors.
Ce que l’on sait, c’est qu’elles étaient connues dans le Nouveau Monde dans la seconde moitié du XVIIe siècle, si l’on se réfère à Tryon, un Anglais qui écrit en 1682 que les punaises infestent Nouvelle Angleterre, Barbade, Jamaïque. .. “
Etymologie #
Le langage et le folklore sont des preuves tangibles de la présence des punaises de lit dans les temps anciens. En annexe II, III et IV, on trouvera les témoins de leur utilisation en pharmacopée et leur impact dans certains domaines artistiques.
Les différents noms pour désigner la punaise de lit #
Toutes les langues indo-européennes, africaines et orientales ont des noms pour désigner les « punaises de lit ». Il est illusoire de tenter de tous les répertorier. Beaucoup de variantes existent, en plus des noms familiers et de l’argot qui existent dans toutes les langues (Tableau I).
Rien qu’en français, les noms de la punaise des lits en argot sont : la roupie, la négresse (nom commun avec la puce), la lentille, le bouton de pieu. Au Québec, on la désigne comme punaise des murs, punaise de tapisserie, gendarme, pentatome,..
Pour les langues dérivées du latin, les noms de groupes reposent sur le mot « cimex », les langues germaniques sur « Wandlaus » (« laus »: pou, puceron ; « wand » : cloison, paroi, paravent, porte) et dans les langues slaves, sur « pluskwa » signifiant appartement.
En français, les dictionnaires en 1850 témoignent des différentes maladies qu’on lui impute alors.
Dictionnaire de médecine Flammarion :
(lat. putere = puer et nasus= nez) Cimex lectularius insecte hémiptère, hétéroptère hématophage de la famille des Cimicidés, au corps déprimé, à la tête pentagonale, dont le protothorax, échancré en avant, possède des bords minces, très développés, relevés latéralement, et qui jouerait un rôle vicariant dans la transmission de la fièvre récurrente cosmopolite et d’un certain nombre de rickettsioses.
Dictionnaire Hachette :
Petit insecte, hétéroptère, au corps roux aplati, parasite de l’homme qu’il pique pour se nourrir de son sang ; la punaise transmet le typhus.
Dictionnaire Larousse :
Nom féminin du latin putere (puer) et nasus (nez).
Insecte à corps aplati qui dégage une odeur âcre et repoussante :
- punaise des lits, à ailes réduites qui se nourrit de sang,
- punaise des bois, qui se nourrit de sève