L’acte de piquer place la punaise de lit dans une série complexe de réflexes comportementaux et qui nécessitent un lien intime entre le parasite et son hôte.
Attitude de l’insecte sur la peau de l’hôte #
L’insecte approche de son hôte avec le rostre et les antennes tendus en avant, ces dernières testent la surface et recherchent un endroit convenable, les zones lisses ou humides étant évitées. Les pattes de devant sont tendues en avant en vue d’agripper la peau de l’hôte. Il a été constaté que les individus amputés de leurs pattes antérieures étaient incapables de piquer. Les femelles à jeun depuis longtemps exécutent avant l’attaque d’intenses mouvements vibratoires. Le point de piqûre est choisi par tapotement à l’aide de la pointe du rostre abaissée verticalement à 90°.
Pénétration des stylets mandibulaires et maxillaires #
Lorsque la pénétration débute, l’insecte serre la peau de l’hôte avec ses griffes tarsales et contracte son corps jusqu’à obtenir une position avec un « thorax bossu ». Les stylets sont ensuite projetés d’avant en arrière à travers les tissus tandis que l’insecte décrit un mouvement de balancier. Toutes les pattes sont utilisées pour permettre l’adhérence lors de la poussée en avant (fig. 67 et 68).
Figure 67 : Position « campée » de Cimex lectularius (adulte femelle) au moment de la piqûre sur son hôte (humain) (Anteater Pest Control, 2014)
Figure 68 : Séquences de la piqûre de la punaise de lit (Hase, 1917). Stb : stylets ; lb : labium
Lorsque les stylets rentrent dans la peau, le labium n’y rentre pas, cependant ce dernier joue un rôle important dans la prise de nourriture. Ses extrémités ressemblant à des lèvres, agrippent les stylets dans une prise de type tenaille, les aidant ainsi à se stabiliser lorsque ceux-ci s’enfoncent dans les tissus.
De plus, le labium en se repliant permet un sondage en profondeur des tissus de l’hôte et contrôle ainsi la profondeur dans laquelle les stylets pourront rentrer par la suite.
Les stylets sont enfoncés rapidement, les mandibules et maxilles percent ensemble la surface de la peau en un faisceau compact (fig. 69). Les mandibules, avec leurs extrémités crénelées, se projettent légèrement devant les maxilles leur frayant un chemin dans les tissus grâce à des mouvements alternatifs répétés. Lors de la piqure, les stylets décrivent de rapides mouvements de va-et-vient (parfois même à plus de 90°) dans la chair, que leur grande souplesse leur permet d’atteindre et la dilacèrent dans toutes les directions. Il semble que ce mouvement s’arrête lorsqu’un vaisseau capillaire est rencontré. Ce sondage actif conduit à la formation de petites et grandes hémorragies tissulaires dans lesquelles l’insecte se nourrit rarement si le vaisseau est de trop faible calibre.
Les stylets poursuivent des mouvements activement au travers des chairs jusqu’à rencontrer et entrer dans un vaisseau de calibre suffisant dans lequel un véritable repas sanguin est aspiré.
Dickerson et Lavoipierre pensent que la prise de sang par l’insecte est influencée par le calibre luminal du vaisseau (parmi d’autres facteurs).
Figure 69: Étapes (a, b, c) de la pénétration des stylets mandibulaires et maxillaires à travers la peau et dans un vaisseau sanguin (Dickerson et Lavoipierre, 1959)
La salive injectée n’est pas irritante comme celle des entomophages, elle est au contraire légèrement anesthésiante durant les premiers instants, puis elle déclenche ensuite un prurit, tandis que la petite hémorragie locale produit une tache rouge sous la peau.
L’aspiration du sang dans le canal alimentaire est permise grâce aux extrémités des mandibules qui semblent guider les mouvements directionnels des maxilles fusionnées.
Bien que les mandibules et maxilles jouxtent toutes le vaisseau sanguin, seule la maxille droite entrerait dans la lumière du vaisseau.
Après aspiration d’un repas de sang, l’insecte se modifie change de forme, passant de la punaise plate à une forme beaucoup plus ronde due à l’importante distension abdominale.
L’équipe d’Araujo en 2009 a cherché à comparer les procédés employés au moment de la piqûre grâce à un électromyogramme de la pompe cibariale. Les signaux électriques produits par les contractions de la pompe cibariale sont ainsi filtrés, amplifiés 210 fois puis enregistrés numériquement (fig. 70).
Pendant la phase de pénétration des stylets, les signaux électriques sont irréguliers (on le voit au bruit de fond généré sur la ligne de fréquence de la figure 70).
Figure 70 : Profil de l’activité électrique de la pompe cibariale au moment de la piqûre (Araujo et al., 2009)
Puis lors de l’engorgement, les signaux deviennent réguliers presque en rythme avec des pics amples caractéristiques (fig. 71).
Figure 71 : Profil de l’activité électrique de la pompe cibariale au moment de la pénétration des stylets et de la phase d’engorgement (C) et profil de l’activité électrique régulier de la phase d’engorgement (D) (Araujo et al., 2009).
Retrait #
Quant l’insecte est gorgé, il retire ses stylets et du sang se répand des vaisseaux lacérés provoquant une hémorragie privative.
Si les stylets sont profondément insérés, la dentelure des mandibules, ancrée fermement dans les tissus, peut être un frein momentané au retrait car les extrémités crénelées y sont alors positionnées à contre-courant.
L’émergence des stylets hors des chairs est facilitée par la souplesse du rostre ce qui permet sa rentrée, puis le rostre est rabattu sous la tête. Les punaises sont prudentes au début et à la fin de chaque piqûre, mais en cours de gorgement elles peuvent être touchées, et même tournées autour de leur rostre comme autour d’un axe, sans interrompre pour autant leur repas.
Le profil d’activité électrique de la pompe cibariale est alors brusquement arrêté sur la figure 72 (Araujo, 2009).
Figure 72 : Profil électrique de la pompe cibariale au moment du retrait des stylets (Araujo et al., 2009)
Paramètres biologique du repas sanguin #
Un repas complet demande de 10 à 20 minutes chez les adultes, et seulement quelques minutes chez les jeunes. Une punaise « affamée » est capable d’aspirer un volume de sang entre 130 à 200% de son poids corporel initial. Le temps écoulé entre deux repas est extrêmement variable : de 3 à 15 jours en conditions expérimentales, les punaises sont capables d’attendre jusqu’à un an.
En comparaison avec d’autres arthropodes hématophages, les punaises de lit prennent des repas sanguins conséquents jusqu’à 13,9 mg de sang (soit 13,2 mL en prenant une densité sanguine de 1,0506 à 37°C) avec un repas moyen de 7,81 mg (soit 7,4 mL) pour une femelle adulte (Dogett et Russell, 2008). Si l’on compare la capacité de nourrissage entre adultes mâles et femelles de Cimex lectularius pris sur un même hôte, le ventre d’une souris de laboratoire, à nombre de piqûres total et quantité de liquide ingéré par les contractions de la pompe cibariale égaux, on remarque que les femelles sont capables d’ingérer significativement plus de sang que les mâles et ceci parce qu’elles restent plus longtemps sur leur hôte avant de trouver le site adéquat pour la piqûre.
Les femelles ont un poids de 17 % plus élevé que celui des mâles avec des repas sanguins environ 2,4 fois plus longs en durée. Ces différences entre mâles et femelles peuvent s’expliquer par la taille des deux genres ainsi que la plus grande demande nutritive nécessaire pour produire des œufs (Johnson, 1941).
Alimentation artificielle #
Puisque l’hématophagie est connue pour avoir un impact direct sur la survie, la fécondité et le comportement des punaises de lit (Usinger, 1966 ; Lehane 2005, Benoit et al., 2007 ; Wintle et Reinhardt, 2008 ; Benoit et al., 2012), plusieurs études se sont penchées sur les capacités de la punaise de lit à se nourrir avec des techniques artificielles afin de préserver les animaux de laboratoire (fig. 70).
Montes et al. en 2002 ont ainsi pu maintenir une colonie pendant plus de deux par la seule technique de nourrissage artificiel. Leur système maintenait un sang à une température de 37°C afin d’attirer les insectes et le sang hépariné semblait le plus probant pour le succès de cet élevage.
Aak et Rukke (2014) ont tenté de parfaire leur méthode avec de plus petites quantités de sang total humain faiblement hépariné (1%) dans des sacs de type Parafilm TM ne nécessitant plus l’important appareillage nécessaire à son chauffage (fig. 73).
Des différences significatives existent comme des adultes plus petits et moins d’œufs pondus en comparaison avec les punaises élevées sur du sang frais de rongeur mais ces différences sont encore acceptables pour des travaux de recherche ne touchant pas la fertilité (Aak et Rukke, 2014).
L’équipe de De Meillon et Golberg (1947) ont prouvé cependant que l’utilisation de sang hémolysé pour l’alimentation artificielle des punaises ne permettait pas ou peu de productions d’œufs.
Figure 73 : Principe de nourrissage par alimentation artificielle (Hosokawa et al., 2012).